Luo Mingjun, « Ouvrir la porte» - 5.9.-24.10.2016
Sa « longue marche » à elle, Mingjun Luo l'a accomplie dans la solitude et la concentration de son atelier biennois, partagée entre sa Chine natale et la Suisse. Un grand écart culturel qu'il lui a fallu apprivoiser et qui est au cœur même de sa démarche d'artiste. Sa vie et son œuvre sont dans cette oscillation continuelle qui, de douloureuse, est devenue féconde et demeure en construction et en mouvement perpétuels. Entre ici et là-bas, l'artiste s'est inventé un « troisième lieu », un espace de liberté créative ouvrant la porte à toutes les contradictions qui l'habitent et qui marient intimement l'Orient et l'Occident.
Avant d’entrer à l'académie d’art, Mingjun aimait à travailler dans l'atelier de décors de théâtre et d'opéra où travaillait son père, puis à peindre des affiches dans un studio de cinéma. De ces « fabriques » à histoires, elle a gardé un sens aigu de la narration poétique. Quant à la photographie, elle en a appris la technique par la bande, chez un professionnel qui aimait à la prendre pour modèle de ses portraits. La magie de l'apparition de l'image dans le bain de révélateur ne l'a plus quittée. A partir des albums de famille et comme sur du papier photosensible, elle dessine, peint, photographie, filme et crée des installations, parce que « pour raconter tout ça, un seul médium ne suffit pas ». Avec une lenteur rêveuse et méditative, ses œuvres balancent entre le flou et le net du surgissement et de l'effacement des images, de l'apparition et de la dissolution des souvenirs.
Mais pas question pour elle de se contenter de documenter sa vie en Chine ou les changements de son pays depuis la fin des années 1980. Si Mingjun n'en finit pas de puiser dans les traces et vestiges de son passé et si elle demeure très attentive à tout ce qui se passe au présent, c'est en artiste qu'elle l'exprime et le transpose, en imbriquant les fragments avec le tout, la lumière avec l'ombre et le sensible avec le conceptuel. Attachée à raconter le monde à travers « les petites choses », elle associe étroitement le tout proche avec le très lointain, et l'intime avec l'universel.
Presque pas de couleur dans son travail : elle rejoint l'amour et la science du noir et blanc, des transparences et des clair-obscurs de ses ancêtres chinois. Pas de pathos ni de grands effets non plus : comme eux, elle est dans le suggéré, le subtil, l'intimiste. Et jamais rien de définitif ni de figé : tout y demeure flottant, incertain, pénétré du mystère fondamental de la vie et du destin. Mais
l'Occident aussi l'a marquée de son empreinte. Elle raconte elle-même que si, jusqu'à très récemment, elle était concentrée sur le résultat final de ses travaux, c'est désormais la démarche qui l'intéresse en priorité, et dont elle cherche à « cristalliser le processus ».
Les thématiques du déracinement, de la perte d'identité et de la recherche d'intégration sont aujourd'hui d'une actualité plus brûlante et difficile que jamais. Même si son départ à elle remonte à près de 30 ans et qu'elle l'a elle-même choisi, son travail renvoie à toutes les migrations et toutes les quêtes identitaires, à la manière d'un conte élégiaque à la fois tendre et cruel.
Juillet 2016, Françoise Jaunin
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